vendredi 23 juillet 2010

Le centre du monde


Le Tiétar est une rivière qui dessine une vallée au Sud-Ouest de Madrid, en descendant vers l'Extrémadure. C'est un endroit très prisé des madrilènes qui vont s'y mettre au vert. Dans les villages qu'on y rencontre (2ooo habitants en moyenne sans compter les visiteurs), il y a une forte tradition festive castillane, agrémentée de nombreuses courses de toros, dans lesquelles, la plupart du temps, le bétail est extrêmement bien présenté, provenant d'élevages réputés difficiles et dangereux. Souvent, évidemment, ce sont des seconds plans qui les affrontent et se risquent la vie. D'où le surnom de "vallée de la terreur" que l'on donne aux quelques pueblos qui composent cette lointaine banlieue madrilène.
Il y a quelques années, j’ai passé des vacances dans un de ces villages, Piedralaves. Durant la semaine, on n'y voyait que les seuls villageois et la vie y était très paisible. À partir du vendredi, tard le soir, jusqu'au lundi matin, de bonne heure, les madrilènes débarquaient en masse pour passer le week-end. D'autant qu'on y mange très bien, de l'excellente viande de boeuf, particulièrement, et des haricots en grains, dodus à souhait, goûteux et fondants, accompagnés de chorizo frit, de boudin, le tout arrosé d'un tinto du pays.
Un dimanche, ma fille et moi, sommes allés voir une corrida dans un village voisin encore plus petit, dans une arène démontable qui avait pas mal vécu, vu l'état de la peinture, des gradins et le grincement sinistre qui accompagnait chacun de nos pas. Au cartel, deux toreros inconnus de moi et Fernando Robleño, très apprécié à Madrid. Ambiance de fêtes, avec distribution spontanée de tranches de pastèques entre chaque toro, pipas et merienda, et un public qui s'amuse et trépigne dès qu'un torero met un genou en terre. Sauf que les toros (des Albaserrada, peut-être) étaient costauds, sérieusement armés, violents, pas très nets et que le jeune Robleño, qui ne voulait pas céder de terrain, prit deux roustes magistrales dont il doit, encore aujourd'hui, se souvenir.
Assis sur des gradins en planches quelques peu disjointes, nous passâmes un très agréable et intense moment et, alors que le jeune gars qui avait touché l'impossible sixième s'évertuait à ne pas se faire blesser, je garde la mémoire du jour qui tombait peu à peu et des sommets de la Sierra qui se découpaient sur le ciel. Grand souvenir. À la sortie, nous fîmes un brin de marche aux côtés des mules de l'arrastre et de l'alguazil qui rentraient à pied au village.
Bien plus tard, je sus que j’avais assisté à une corrida dans la fameuse « vallée de la terreur ».
Le spectacle ne m’a laissé que peu de traces, mais l’ambiance, visible et invisible, qui se dégageait de cette arène plantée au milieu des champs, reste bien présente en moi, vive et tenace. Je garde intact ce sentiment de bien-être et d’insécurité à la fois, de beauté bucolique du lieu et de grande violence des combats, cette convivialité festive des spectateurs empreinte de brutalité un peu sauvage. La sensation – cliché, bien sûr - d’être au cœur d’une Espagne dure et généreuse à la fois, joyeuse et dramatique, mélange de superficialité et d’essentiel. L’impression puissante et évidente, que dans cette arène de pueblo du « valle del terror », à cet instant-là, nous étions au centre du monde. C’est ainsi que Mircea Eliade définit le sacré.

3 commentaires:

  1. Excellent! Voila de quoi décider fermement DDDLV ! (et moi par la même occasion...)

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  2. bel écrit effectivement, qui donne envie d'aller manger de la poussière entre deux tranches de pastèque
    les dignes représentants de La Montera nous raconteront leurs souvenirs 2010...si bien sûr représentants il y a

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  3. Bon sang de bon sang..

    Je vois bien le coup, vous allez m'obliger à mettre le nez dans le grenier de la maison de mes parents afin que je retrouve ma panoplie de Zorro pour aller dans ce foutu bled !!

    Et vous croyez vraiment que les portiers vont me laisser entrer dans l'arène, avec mon chapeau en carton, mon masque aux trous trop petits, mon épee en plastique tordu et ma cape qui descend au moins jusqu'aux homo-plates.

    Mais dans quel monde vivez-vous? vous rêvez!!

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