vendredi 16 juillet 2010

Les gens de mauvaise compagnie

Je n'aime pas beaucoup quand la tauromachie se mêle de moralité. Le "respect", "l'honneur", la "pureté", la "loyauté", la "bravoure", etc..., sont des valeurs que certains aficionados, assez nombreux, il me semble, peut-être même majoritaires, affectionnent et aiment à défendre à l'intérieur du cercle taurin, arène ou mundillo. J'ai alors, parfois, la vilaine impression que la corrida sert d'argument à l'exaltation d'une idéologie. Une sorte d'instrumentalisation de la chose taurine dans le but inavoué d'affirmer des valeurs, en d'autres circonstances respectables, mais, en l'occurrence, pesantes et légèrement faisandées, par l'effet de certains discours lourdement édifiants. L'image d'un aficionado sévèrement cintré dans la redingote d'un Saint-Just m'irrite aux entournures. Les discours de redresseurs d'âme de certaines grenouilles de callejon provoquent en moi de pénibles remontées d'acidités gastriques. Le "pensé correct" de quelques apôtres des tendidos me colle la migraine.
Peut-être parce que, à l'instar de la littérature, on ne fait pas de bonnes corridas avec de bons sentiments, parce que la tauromachie est un art rebelle qui ne trouve pas sa légitimité dans l'exaltation compensatoire de quelques valeurs bien pensantes, parce qu'elle est la rencontre hautement contradictoire entre une sauvagerie et un raffinement, entre l'abominable et l'exquis, parce qu'il y a autant en elle de déshonneur que d'honneur, d'irrespect que de respect, de lâcheté que de bravoure, de félonie que de loyauté, parce qu'elle tend un miroir exact, impitoyable et cruel, à notre humanité pleine de bassesse et de grandeur, et parce que c'est précisément de cette rencontre entre le sordide et le sublime qu'elle puise sa nécessité, sa dimension unique et irremplaçable. Et peut-être, enfin, parce qu'elle est pour moi liée à l'enfance - j'ai vu ma première corrida à 9 ans - au jeu et à l'imaginaire - je jouais à la corrida, dans le jardin, avec mon frère - à l'éveil à la vie et à la liberté - les escapades à la feria de Séville! - parce qu'elle m'a suivi et m'a construit au fil des années, parce qu'elle m'a mis face à l'irregardable et en même temps fait découvrir l'inouï... Voilà pourquoi le prêchi-prêcha des moralisateurs sol y sombra, vaguement machisants et très précisément gonflants, pollue nos paradis taurins qui doivent rester irréductiblement, jalousement, scandaleusement, amoraux.

13 commentaires:

  1. Bravo et merci pour ce bel article.

    Je n'aurais pas su exprimer cette idée qui me tient tant à cœur avec autant de verve et de talent.

    L'être humain est complexe, redoutable et parfois imprévisible. Ceux qui lèvent le bouclier d'une prétendue "morale taurine" et d'une bonne pensée unique en refusant de s'avouer qu'ils sont aussi des païens, seraient ce que j'appelle des "mal baisés".

    Je suis vulgaire? C'est vrai.. figurez-vous qu'en plus j'aime mâter le cul de ma voisine.. mais je suis aussi capable d'aider un personne âgée ou un aveugle à traverser la route.

    "Sauvagerie et raffinement" : la tauromachie est à la l'image de ce que nous sommes, et ceux qui renient cette sauvagerie-là n'ont-ils pas un problème avec eux-même avant tout?

    J'ai kiffé "les apôtres des tendidos". Ce serait un excellent titre de roman.

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  2. Le dernier édito de terres taurines CRITÈRES DIVERGENTS (même s'il ne concerne que des critères Torista/Torerista)illustre bien que le public aficionado est divers, varié et... très divisé.J'y vois un lien avec ton article.
    La corrida doit être elle morale? Certainement et définitivement non car elle n'est que le reflet de la vie qui charrie son lot de générosité et de bassesses.
    Doit-être elle totalement amorale pour autant? Pas plus!
    Elle est faite de contradictions.
    C'est elle même qui a généré ses codes : noblesse, bravoure, courage...auxquels la majorité de l'aficion aime avec facilité faire référence.C'est elle qui met en scène sans état d'âme la mort d'un animal dans un cadre réglementaire bien défini.
    Penser que les tenants de ton "pensé correct" réfutent la dimension iconoclaste de la tauromachie me semble trop simple;penser que ces derniers sont porteurs d'une idéologie "pesante et légèrement faisandée" un peu trop gros.
    C'est un point de vue par contre brillament exposé écrit avec sauvagerie et raffinement, ce n'est pas pour cela que son auteur est de mauvaise compagnie (bien le titre à double sens!)
    Pour terminer, petite ordonance:pour les remontées gastriques du Spasfon , pour les migraines du Zomig;le tout à prendre régulièrement avant d'aller s'asseoir sur les gradins d'arènes, on ne sait jamais sur quel voisin on tombe.
    Pour DDDLV, définition du "bien baisé" STP?
    Mater le cul de la voisine c'est bien mais les nichons c'est pas mal aussi

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  3. Je t'avais fignolé, Bison Fûté, une réponse, et, au moment de la publier, une fausse manoeuvre l'a désintégrée.
    La chaleur de ce dimanche de mi-juillet me fait renoncer à la recommencer.
    Sache, en gros, que je n'étais pas du tout, mais alors-là, pas du tout d'accord avec ton commentaire et avec son ton "mesuré" (je ne me souviens pas que tu aies fait sciences-po...).
    J'écrirai, un jour plus frais, sur la moralopathie, maladie qui amène à ne pas apprécier ce que l'on voit mais à regretter ce que l'on ne voit pas, sur une définition du "vieux con" (qui n'est pas toi, rassures-toi), j'évoquerai la différence entre "mal baisé" et "peine à jouir", la douche d'après bordel, la Navarre, berceau de la tauromachie moderne, les antis, et les principes...
    En attendant, pour ceux qui vont aux arènes cet après-midi: ¡Suerte! Que les toros, les toreros et le public soient à la hauteur de vos espoirs!

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  4. C.Q.F.D. !!!! c'est très juste ! rien d'autre à ajouter sinon ... bravo !
    Sofi Bonne (source facebook)

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  5. Liberté ou être Amoral
    Première corrida pour moi au début des années 80 à VIC,donc le ton est donné. Puis Tafalla en Espagne, puis encore et encore...
    Peu d'années après à travers mon téléobjectif j'ai appris à accepter ma propre mort.
    (Horace disait «la mort rattrape ceux qui la fuient » )
    A partir de ce moment là j'ai pris la liberté d'être amoral, Au cours de notre vie nous avons tant d'obligations ou il faut se plier à tant de règles. Moi j'ai choisi cette liberté d'être amoral,
    Les avis des aficionados sont si souvent partagé, quand à l'élevage, quand au maestros et que sais-je encore,mais c'est leur liberté.
    Bien souvent on nous fait la morale, mais grattez donc un peu et vous verrez ce qui reste de cet édifice MORAL. Pas grand chose. Cette vilaine impression que vous pouvez ressentir est par contre bien réelle, car elle a des relents nauséabonds qui sont perceptibles quand on fait la cigale et qu'on envie de aimer l'interdit, l'amoral.
    Je m'en moque, car j'ai mon propre idéal.
    Vous avez trouvé votre façon de vous en débarrasser et ne pas vous laisser gâcher l'instant, vous écrivez. Et pour finir je vous cite Coluche :
    Pour ces messieurs, la moralité devient rigide quand le reste ne l'est plus
    Donc en pensant à cela vous aurez peut-être un peu moins la migraine,sinon j'ai toujours une boite de Doliprane.
    Amitiés
    Helena Lachartre (source facebook)

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  6. Derrière un ton mesuré, peut se cacher une provocation...un léger toque du poignet pour faire bondir l'animal sauvage.
    Il n'empèche cher Papa Chat que j'aime à penser que chacun vient chercher ce dont il a envie dans les arènes, et qu'à ce titre des moralopathes ont bien le droit d'y venir même si cela peut être agaçant.DDDLV fait le choix de ne pas aller aux arènes parce ce qu'il y voit ne lui donne guère de plaisir,Paco 60 me semble y aller pour le souvenir de sa jeunesse passée mais sans plus guère d'illusions, EBF que je suis y va plus que jamais pour l'émotion que lui procure l'avant-course, le plaisir de l'imaginaire, et les bonheurs fugaces que me procure telle sortie de toro, telle passe, telle ambiance et le bonheur illusoire que l'homme est un perpétuel trompe la mort en se jouant de son noir adversaire.
    Elle t'a permis d'y voir l'irregardable et d'y découvrir l'inoui à la fois Jedi et côté obscur de la force.
    Pourquoi ne pas accepter à défaut de les comprendre (attention je ne tombe pas dans de la bayrouite centriste aigue)que d'autres vont y chercher une expression de valeurs bien pensantes tant qu'ils ne cherchent pas à les ériger en garantes d'un ordre moral strict et rigide en dehors de l'arène.
    C'est vrai qu'il est facile d'exiger des autres des vertus dont on a bien du mal à se parer soi-même.
    C'est pour cela que je veux rester mesuré, même si cela ne fait pas forcément bon ménage la mesure avec la tauromachie!
    Hey toro, toro.....venga toro bonito!!

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  7. Un jour, je me suis trouvé dans une émission radio face à Jean Cau. Dans une envolée lyrique et quelque peu droitière, il affirma tout à trac, que la corrida était réactionnaire et qu'il s'en réjouissait. Prenant immédiatement les trastos de la gauche, je précisai que, pour moi, elle était révolutionnaire."C'est la même chose" me répondit-il. "Alors, dites-le!" rétorquai-je. Ce qu'il ne fit pas, évidemment.
    Sur ce, nous partîmes, chacun de notre côté, voir la course aux arènes de Bayonne où nous cohabitâmes,sans nous écharper, mais sans non plus ranger nos différents dans le grand sac de la famille aficionada. Style "Il faut de tout pour faire un mundillo.
    Je ne conteste à personne le droit d'aller voir une course, mais je ne m'entends pas avec tout le monde et j'ai certains points de vue irréconciliables avec d'autres. Le regard que l'on porte sur la corrida est le même que celui que l'on porte sur la vie. Je n'aime pas beaucoup, dans les arènes, croiser certaines paroles, certaines attitudes, certaines convictions, pas plus que dans la vie.
    Oui, je viens de répondre, tête baissée, à ton cite final, gentiment ironique... C'est peut-être parce que coéxistent, en chacun de nous, une part d'homme et une part de toro et que, par moment, j'éprouve beaucoup de joie à lâcher "mon" toro et à foncer avec alégria et, pourquoi pas, avec bravoure. Ce n'est pas toujours le torero qui a le meilleur rôle. L'homme n'est pas un trompe la mort. Il la porte en lui. Et toute sa vie est un jeu terrible et superbe entre la force de vie et de mort qui nous habite. Dans une arène, strict miroir de l'existence, les deux forces se mêlent, incarnées tour à tour par le toro et le torero, la vie et la mort émanant de l'un et de l'autre. Dans cette danse cruelle, l'homme n'a qu'un seul privilège sur le toro: il en est l'inventeur. Et d'une certaine façon, c'est un avantage. Le toro, qui n'a pas les règles du jeu, sera l'éternel naïf. Celui sans qui rien n'est possible mais qui ne le sait pas. Un enfant.
    Voilà, pourquoi, ce soir, je suis heureux de faire le toro.

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  8. Je ne vais pas m'échapper et je vais tenter de te donner une définition de ce que je nomme le "mal baisé".

    D'avance, je vous prie de bien vouloir m'excuser de l'emploi de certains mots que vous jugeriez vulgaires, et vous auriez raison, mais il faut bien que j'explique.

    Disons en 2 mots que quand tu es "bien baisé", au sens littéral du terme ou bien métaphoriquement, tu te sens désiré, donc désirable.

    Tu te sens valorisé par le regard et le comportement de l'autre, donc l'opinion que tu as de toi même est plutôt bonne, et cela rejaillit sur la qualité de tes relations avec les autres. A terme, cela te permet d'avoir plus de chance de générer des rapports sains et de qualité.

    En revanche, quand tu es mal baisé... le plaisir n'est pas le même. Pour peu que la personne derrière toi se trompe d'"enchufe", ça peut même carrément piquer!!

    Donc, on n'a pas tout à fait le même rapport à l'autre. Il faut dire que ce dernier n'y a pas vraiment mis du sien, ou peut-être a-t-il tous simplement fait ce qu'il pouvait, le pauvre bougre?

    On passe de plaisir à "bof", on se sent moins désirable, moins confiance en soi, on s'en prend à l'autre, on s'en prend aux autres, on devient aigri, et on finit par leur reprocher ce qu'ils ont fait et surtout ce qu'il n'ont pas su faire.

    Il va sans dire qu'un "mal baisé" peut très facilement devenir "un peine à jouir", pour peu que sa toute première expérience fut terriblement traumatisante, il se méfiera et surveillera à jamais le type qui est dans son dos.

    Et on aura beau lui mettre le plus bel étalon du monde, il sera tellement focalisé sur la crainte d'avoir mal ou de ne pas avoir ce qu'il souhaite, qu'il ne se rendra même pas compte de ce qu'on lui fait.

    Ainsi, le mal baisé authentique pourra se trouver devant la plus belle des faenas du JULI ou consort, il demandera toujours des comptes.

    Voilà cher ami, ma réponse te satisfait-elle?

    Quant à ma voisine, je lui regarde les fesses parce qu'elle n'a pas de seins?

    Tu vois, je ne cherche pas à y trouver ce que je ne lui verrai jamais.

    Ah poésie, quand tu nous tiens...

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  9. putain vous êtes en forme ce soir!
    1)à mt de marsan pas de bol, voisine à gauche: pas de seins et grosses fesses, à droite un voisin meeerrde!
    2)question subsidiaire qui me taraude, le bien baisé est-il un bon baiseur?
    3)j'ai beaucoup aimé la charge du petit toro quant à Jean Cau j'aurais aimé voir comment il allait démontrer qu'être réactionnaire c'est être révolutionnaire!
    Je me retire derrière le burladero, enfin jusqu'à demain!

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  10. Arguments de Jean Cau: la tauromachie va à rebrousse-poils des modes, des facilités de notre époque, du soft, du light, exalte des valeurs d'un autre âge - J.C. (pas Jésus-Christ, mais Jean Cau) était un grand moralopathe. La corrida n'est pas dans l'air du temps, donc elle est réactionnaire. Et révolutionnaire, tant qu'à faire, puisqu'elle va contre le courant,l'ordre établi.
    Je suis bien d'accord: ce que Jean Cau nous fit là, cela s'appelle "un grand écart" tiré par les cheveux (les pires!) et dont il eut du mal à se relever. Bien à l'image de sa propre contradiction (évolution, diront ses fans) qui le vit passer de secrétaire de J.P. Sartre à, dans une seconde vie, chantre égosillé de la droite/droite.
    Repos à ses cendres... Son bouquin "Les deux oreilles et la queue", malgré un titre qui aurait fait les délices du Docteur Freud,reste un document intéressant sur les coulisses des toreros(Jaime Ostos), avec de belles pages parfois, entre deux crédos (crados!) machistes. Fermé le ban.
    Je vois bien qu'il va falloir que je me fende (!) d'un petit texte sur la nuance capitale entre "mal baisé" et "peine à jouir", ce dernier terme me paraissant plus adapté au moralopathe des tendidos et autres andanadas. Mais cela demande temps, concentration, et inspiration. Je verrai ce soir...

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  11. j'en salive d'avance...en attendant cap sur mt d m , à l'origine c'était pour JT, c'est finalement Morante, je m'en ré-jouis sans peine!
    el B.F

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  12. Ah si le temps ne nous était pas compté...

    J'y ai bien pensé mais je n'ai pas le temps de me lancer dans un petit commentaire sur la différence entre "mal baisé" et "peine à jouir".

    Déjà que ma réponse au Bison a été rédigée de manière plutôt expéditive pour ne pas le laisser dans un vide juridique total, déjà que mes articles sont à peu près tous écrits à main levée, je n'ai vraiment pas le temps en ce moment, avec mon travail en parallèle de me lancer dans un énième "essai philosophique".

    Il est clair qu'il y a une différence palpable entre "mal baisé" et "peine à jouir", même si je le maintiens, le second peut parfois découler du premier.

    Bref, j'ai moi aussi hâte de te lire, Papa Gato.

    Je te répondrai plus tard petit Bison sur "mal baisé" est-il un "bon baiseur"?

    Je pense qu'on les tient les sujets du bac de Philo pour 2011...

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  13. Ëtre un "mal baisé" induit la responsabilité du ou de la partenaire. Le mal baisé devient une sorte de victime de la maladresse, de l'inexpérience, voire de l'égoïsme de l'autre. Or, n'ayons pas peur des mots, l'auto-missionné du code moral taurin, le défenseur d'une "certaine idée" de la tauromachie, comme dirait l'autre, est seul responsable de son insatisfaction permanente et, conseillons lui, gentiment mais fermement, de s'occuper de ses oignons...
    "Peine à jouir" nous amène à nous interroger sur ce qu'est la jouissance. En l'occurrence, je la définirais bien comme un abandon au plaisir, un exultation du corps, une emprise des sens sur la raison. La jouissance n'est pas toujours morale, pas souvent. Il y a une sorte d'incompatibilité entre morale et jouissance (si ce n'est par le biais de la transgression).
    Lorsque Jose Tomas, la jambe gravement ouverte d'un coup de corne, quitte la piste de l'arène de Linares pour se rendre à l'infirmerie en marchant sur ses deux pieds malgré l'hémorragie galopante, un incroyable et incompréhensible sourire se dessine sur ses lèvres... Sens de l'honneur, courage? J'y vois surtout de la jouissance. Et cela fait peur, cette jouissance-là. Jose Tomas fait peur parce qu'il ouvre des gouffres dans la nature humaine. La seule vraie question que pose la tauromachie est: qui sommes-nous?
    Combler ce vide, répondre à cette question par de la morale - sens de l'honneur, respect , courage, etc, etc... - c'est comme vouloir faire entrer la mer dans un verre à liqueur.
    Alors, notre moralopathe, "mal baisé", "peine à jouir"? Je pencherais plutôt pour un "peur de jouir". Peur de quitter le monde "civilisé" pour entrer dans cette tierra incognita.

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